Contexte : nous sommes en 2015, j’ai 35 ans, après 6 ans en Allemagne pour le travail de l’ex mari, nous sommes rentrés en France et nous avons divorcé ; j’ai mes enfants (nés en 2007 et 2012) une semaine sur deux, j’ai un nouvel amoureux, l’Ours et nous ne vivons pas ensemble. J’ai toujours un nombre de difficultés plus ou moins invalidantes. Je suis traitée pour depression et je ne sais toujours pas que je suis autiste.
Contexte et Spoiler Alerte : j’ai deux enfants (né en 2007 et 2012) en garde alternée, un compagnon l’Ours qui habite beaucoup chez lui jusqu’en 2020 puis avec les confinements du covid 19, beaucoup ici ; fin 2015 on m’annonce que je ne suis pas autiste (asperger, c’était alors la dénomination en vogue), sans me faire passer de tests, et que j’ai seulement un syndrome anxieux. J’essaie d’avancer dans ma vie souvent trop fatigante du mieux que je peux, jusqu’à ce que je refasse fin 2022 une nouvelle démarche diagnostic.
Attention, pavé.
Début décembre : mon second rendez-vous au Centre de Ressources Autisme (CRA), avec le psychiatre cette fois-ci (très gentil, mais entretien mitigé, il m’a fait parler essentiellement de mes malaises ce que j’ai trouvé très restreint par rapport à tout ce qu’il y avait à aborder). Puis une semaine plus tard entretien téléphonique entre le psychiatre et ma mère d’environ une heure.
Cet entretien sur ma petite enfance avec ma mère a été décisif pour leurs conclusions. Ma mère a certes confondu beaucoup de choses surtout concernant mon niveau de bonheur et mes relations sociales (elle a trois enfants et une mémoire sélective, arbitraire et déficiente) mais elle ne se trompe pas en disant il n’y a dans les faits pas de routine, de rituel ou d’habitude notable (pour le repas, le coucher…), pas de stéréotypie, pas de retard moteur ou de langage (c’est même l’inverse).
Et cela suffit pour écarter le spectre autistique et donc le syndrome d’Asperger. On nait asperger, les symptômes peuvent s’atténuer avec le temps mais pas l’inverse (dixit le psychiatre).
Le psychiatre m’a appelée ensuite pour son compte rendu, et j’ai été dans un état de tristesse, de colère, d’impuissance, de honte, de dégout et d’autres choses que je n’ai toujours pas comprises, sans mesure. J’étais chez mes parents à ce moment là, isolée dans une chambre, lorsque j’ai raccroché en pleurs j’ai pris mes affaires et je suis partie sans parler à personne. Une seule idée en tête : fuir, rentrer chez moi, pleurer toutes les larmes de mon corps et hurler à la mort toute seule.
(…) nous observons au premier plan un syndrome anxieux, une grande réactivité émotionnelle et des affectes tristes. (…) Nous recommandons un accompagnement psychologique dans le cadre de cette symptomatologie.
Je vous passe le moment où mon père me rattrape sur le chemin, ma mère nous rejoint, nous pleurons tous, j’ai des mots très durs envers eux et envers moi-même et mon état fait très peur à mon père qui craint que je fasse une grosse bêtise (alors que j’ai juste envie d’être seule). Mon père me raccompagnera finalement en voiture (parce que oui, j’étais partie pour faire 6km à pied dans la presque nuit), m’appellera ensuite pour se (sic) rassurer et me dire que leurs conclusions au CRA on s’en fout, je suis ce que je suis et personne n’a à argumenter cela.
Echec et culpabilité
Echec. Quand le psychiatre me fait son compte rendu au téléphone c’est ce mot qui explose à répétition dans ma tête. Je suis un échec. Je n’arrive pas à fonctionner normalement et je n’ai pas de raison à cela. Je ne suis pas différente parce que j’ai Asperger, je suis juste mal foutue, je devrais fonctionner « normalement » et je suis trop nulle, fainéante, incapable pour y arriver. Je suis un boulet.
Evidemment le psy ne dit rien de tout cela, il est a priori bienveillant et rassurant me disant que c’est une chance, que je peux donc aller mieux, etc.
Moi je m’effondre, me disant que justement j’étais arrivée a peu près au meilleur de ce que je pouvais être et qu’il est en train de m’expliquer que ma vie est tout pourrie.
Personne ne peut se rendre compte combien il est difficile d’être dans ma tête, à quel point faire certaines choses supposées très simples sont parfois très compliquées pour moi (comme me promener en ville, déposer ou récupérer mes enfants à l’école, prendre le bus) ; tout ce que je suis obligée d’intellectualiser et de réfléchir pour faire des choses qu’en général on fait « naturellement » (comme demander aux gens comment ils vont, savoir quand se taire et ne pas faire de réflexion blessante, toutes ces choses qui montrent l’intérêt qu’on porte aux gens) ; comment le manque de ressources m’empêche parfois de sortir de mon mode de réflexion (je suis comme restreinte à des options parfois ineptes, que je ne comprends pas le second degré…) ; comment mes émotions me parasitent, m’envahissent, sont ingérables et me font peur par moment ; de quelle manière ma fatigabilité altère mes capacités, etc.
A travers ma démarche de diagnostique je ne cherchais pas une excuse pour me dédouaner de mes bizarreries. J’avais besoin d’une raison d’être ce que je suis. De ne plus me sentir coupable. Coupable d’être moi, d’exister.
Je cherchais des pistes pour aller mieux. Et je cherchais une patrie, d’autres gens qui auraient les mêmes particularités que moi qui me sens en décalage depuis toujours, pour ne plus me sentir une alien quand on me répond « mais personne ne pense/agit comme ça ! ».
Je m’en fous de ne pas être « normale », ça ne veut rien dire de toute manière et j’en suis bien consciente, je suis lasse que mon entourage ou la société pense que tout cela est une question d’effort et que je n’en fais pas assez.
Parce qu’au final c’est ça. Ce sentiment d’être dysfonctionnelle sur toute un tas de choses, d’être consciente de ce qu’on attend plus de moi et que ça me coûte trop, ou qu’il faille expliquer, s’excuser de merder une fois de plus sur des choses si simples que j’aimerais pourtant tellement savoir faire, avec facilité et tout le temps.
L’image brouillée de l’autisme « classique », avec compensation et camouflage, les aptitudes versatiles et contradictoires, le comportement changeant suivant la situation… tout cela rend confuse la perception que l’on a de l’autisme.
Comprendre les personnes autistes de haut niveau, Peter Vermeulen.
Quand j’ai lu cela il y a quelques semaines, bien avant le second entretien et les conclusions, j’ai pleuré, parce que mes aptitudes versatiles et contradictoires, mon comportement changeant suivant la situation, c’est épuisant pour moi, incompréhensible pour tous.
Pourquoi hier j’y arrivais et c’était facile, pourquoi là je bloque et je déraille ? Pourquoi ? C’est à s’arracher les cheveux.
Mais je ne suis pas Asperger, je me retrouve encore des descriptions qui me caractérisent parfaitement, et pourtant je ne rempli par tous les critères.
Maintenant, avancer
Pour résumer j’ai un mode de réflexion atypique et une hypersensibilité qui sont à la fois un don et une malédiction (et je cite Monk si je veux).
Mes recherches sur le syndrome d’asperger m’ont appris à mieux me connaitre et à trouver des pistes et des solutions à certains problèmes (la mélatonine pour le sommeil, revenir aux omégas 3, accepter certaines stéréotypies, prendre conscience d’à quel point mon hyperacousie me fatigue…).
Il y a toujours des choses que je souhaite améliorer dans mon quotidien, comme ma gestion de mes émotions, mon état dépressif, ma piètre estime de moi et d’autres trucs qui m’empoisonnent.
Et je vais essayer d’arrêter de culpabiliser d’être qui je suis. J’étais prête à m’accepter toute tordue Asperger, maintenant je vais apprendre à m’accepter toute tordue juste moi.