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La théorie de l’esprit, qu’est-ce que c’est et comment cela m’impacte en tant qu’autiste adulte sans déficience intellectuelle ?

Définition

La théorie de l’esprit désigne, en sciences cognitives, non pas une théorie, mais l’aptitude permettant à un individu d’attribuer des états mentaux inobservables (ex : intention, désir, conviction…) à soi-même ou à d’autres individus.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Théorie_de_l%27esprit#Autisme

La théorie de l’esprit désigne en neuropsychologie, la capacité à interpréter ses propres états mentaux et ceux des autres êtres humains. Elle est considérée comme déficitaire chez les personnes autistes qui rencontreraient des difficultés voir une impossibilité à identifier leurs représentations mentales et celles des autres individus.

https://comprendrelautisme.com/le-fonctionnement/la-theorie-de-lesprit/

Si l’alexithymie est une difficulté à identifier, différencier et exprimer ses émotions, ou parfois d’autrui, la théorie de l’esprit s’applique plus largement à la capacité d’interpréter les connaissances, intentions et ou motivations d’autrui.

Les autistes sans déficience intellectuelle réussissent en général le test de base de Sally et Anne1 et leur déficit en théorie de l’esprit, s’il y a, va se manifester comme un manque d’intuition ou d’humour ou de compétence sociale.

Ne pas voir l’invisible

Titre étrange… et qui je pense résume bien la situation et la différence avec les personnes neurotypiques.

Quand une personne n’a pas de déficit de théorie de l’esprit, elle a conscience d’une part qu’il existe des choses invisibles chez autrui, telles que l’intention (pour ne prendre que cela comme exemple), et d’en deviner ( ? décrypter ? supposer ? imaginer… et oui, c’est une autiste qui écrit, je ne sais pas comment ça marche vraiment….) la teneur au delà de ce qui est perceptible (les mots et dans une mesure variable l’intonation ou la gestuelle) lors d’une interaction avec une tierce personne. Les neurotypiques peuvent voir une partie de cet invisible.

Pour ma part, je ne sais pas dans quelle proportion il me vient à l’esprit qu’il peut y avoir une intention cachée dans les propos de quelqu’un, autre que les signaux visibles (que j’ai interprétés comme j’ai pu). Et si j’en ai conscience, il reste assez rare que j’ai pu deviner ce qu’était cette intention. Et quand l’une ou l’autre de ces étapes sont accomplies, c’est le fruit d’un travail intellectuel coûteux et pas de quelque chose d’irréfléchi et naturel et il n’est pas certain que je sache quoi en faire…

En quoi c’est différent d’un fonctionnement neurotypique ?

Evidemment qu’il existe nombre de personnes non autistes qui, sans trouble du développement, ont parfois du mal à comprendre le second degré ou sont naïves. Personne ne peut deviner vraiment ce qu’il y a dans la tête d’une autre personne. Ne pas comprendre systématiquement les intentions ou le sarcasme ne prédispose pas forcement d’un déficit de la théorie de l’esprit, c’est normal et commun à tous.

La naïveté relève de la psychologie, c’est « une position subjective que choisit inconsciemment le sujet et qui peut être assimilée à une forme de refoulement »2, et ne pas comprendre le second degré peut être dû à un manque de familiarité avec le contexte, une culture différente3

Il est nécessaire de sortir de ce cadre commun pour comprendre que si le résultat semble similaire, l’origine est différente : une déficience de la théorie de l’esprit impacte la communication et le fonctionnement des autistes, c’est lié à leur neuro-développement particulier.

Si le déficit de théorie de l’esprit peut partiellement se compenser (par des apprentissages autonomes ou par exemple lors d’ateliers ou de thérapies de compétences sociales mais attention aux déviances !), le principe est de palier, par le truchement de reconnaissances de schémas et l’application de réponses adaptées, ce qui devrait être de l’ordre de l’instinctif.

Imaginez un daltonien à qui on apprendrait les couleurs : « le meilleur résultat que nous obtiendrons est un robot humain qui mémorise toutes les situations rencontrées précédemment, essaie très fort de faire semblant de s’adapter à toutes les règles mémorisées mais n’a aucune idée de quoi faire face à quelque chose de nouveau »

Comment cela se manifeste chez moi ?

Un peu trop littérale et incapable de savoir quoi faire de certaines informations

J’ai appris que à la phase « Peux-tu fermer la porte ? » il ne faut pas juste répondre « Oui » (en me demandant pourquoi on me pose une question pareille, est-ce qu’on doute de ma capacité à le faire ?), mais qu’on attend de moi à ce que je ferme la dite porte, et donc en plus de répondre « Oui« , la fermer aussi.

Régulièrement quelqu’un dit quelque chose mais cette phrase n’est pas à prendre en l’état, parce qu’il y a une intention invisible de la part de son autrice, ou bien il y a une attente sociale qui ne m’est pas innée.

Sauf que je ne sais pas quelles sont les phrases « pièges » qu’il me faut retraduire pour être sur la même longueur d’ondes que mon interlocutrice et l’adapter au contexte.
« Peux-tu fermer la porte ? » j’ai la référence, mais les autres incongruités (de mon point de vue), où se cachent-elles dans le flot d’une conversation ? Et puis, si j’en identifie, comment puis-je savoir si le contexte, la personne, l’intonation… changent la traduction.
Le fameux « laisse-moi tranquille » qui peut vouloir dire son contraire, je pars, je reste, combien de temps (et évidemment la personne qui a dit ça en général n’est pas trop d’humeur à répondre à mes demandes de précisions…) ?

Pire, comment savoir si je ne suis pas en train d’alimenter mon système de traduction/réaction en erreur avec une fausse déduction de ma part ?

Enfin, il m’arrive bien souvent aussi de comprendre intellectuellement des choses, voir émotionnellement, mais je ne sais absolument pas quoi en faire.

J’ai donc en tâche de fond un système qui apprend et traduit pour mon cerveau autiste et me rappelle ce que je suis supposée faire dans certaines circonstances.
Il a cependant plusieurs défauts majeurs :

  • il reconnait facilement les schémas bien appris, à conditions qu’ils soient strictement identiques, il ne sait pas trop tenir compte du contexte, et fonctionne mal quand je suis à bout d’énergie
  • comme il consomme énormément d’énergie en apprentissage et je ne peux le faire fonctionner pour *toutes* les nouvelles phrases d’une conversation : cela serait épuisant de me demander à chaque phrase entendue si elle est supposée être traduite ou pas, s’il peut y avoir un autre sens que celui que j’en fait naturellement, et je ne peux pas deviner lesquelles sont à traduire
  • il a parfois des traductions complètement erronées et je ne m’en rend compte que des mois ou des années plus tard
  • il peut reconnaitre certaines situations délicates et être incapable de me donner les instructions sur l’attitude, les mots à avoir.

Je n’ai pas de meilleur exemple pour expliquer la difficulté de reconnaitre les schémas la chute finale de l’histoire Bananagrams et Jodie Foster du spectacle Someting Special de Hannah Gadsby sur Netflix (qui arrive 30 minutes après la mention de bananagrams).

L’humour de second degré et le sarcasme

Je peux faire de l’humour du second degré « naturellement », ce qui rend a priori mon incompréhension régulière d’autant plus frustrante pour mes proches.

Si l’humour de second degré ou le sarcasme ne sont pas accompagnés de signes évidents pour moi pour les identifier et en saisir les implications, je ne vais pas comprendre, être confuse, essayer de comprendre en vain… bref rendre cela très cérébral au lieu de rire. Ça n’est même pas que je ne trouve pas la blague drôle (parce que alors je l’aurais comprise), c’est que je ne sais pas que c’est une blague.

Parce que comment savoir si je ne comprends pas la parce que c’est l’intention, ou si je ne comprends pas parce que, comme expliqué plus haut, je n’en suis pas capable ?

Le second degré dans une série ou un film est en général plus facile pour moi, parce que le contexte est très balisé et réduit, il est facile de connecter les éléments entre eux car ils sont peu nombreux.

Difficulté à concevoir la tromperie

Cela pourrait être pris pour de la naïveté ou de la crédulité, sauf que les mécanismes sous-jacents ne sont pas les mêmes : j’ai tendance à oublier que les gens peuvent mentir et tromper et être fourbes, volontairement ou non.

Maintenant que j’ai été diagnostiquée et que mes recherches m’ont amenée à cette découverte, j’essaie d’y faire attention, mais jusqu’alors je croyais presque aveuglement ce que mes proches me disaient, même a propos de moi et surtout quand c’était négatif…

Extraits de mon bilan cognitif sur les « faux pas »

Contexte

Ce test évalue la capacité à détecter ou non des maladresses (faux pas) dans des histoires mettant en scène plusieurs personnages en interaction. L’objectif est de tester les capacités de théorie de l’esprit, de compréhension sociale et d’empathie chez l’adulte.

Plus en détail, l’épreuve est composée de 20 histoires courtes relatant des scènes de la vie quotidienne, dont 10 comportent des faux pas sociaux (commentaires maladroits ou inadaptés à la situation). L’examinateur lit chaque histoire à la personne testée, en lui posant ensuite plusieurs questions pour s’assurer qu’elle a bien compris la situation, qu’elle a relevé les faux pas (ou leur absence) et qu’elle parvient les expliquer.

Résultats

Dans le détail, on note que XXXXX se montre à même de repérer l’ensemble des histoires avec faux pas. Elle parvient également à en identifier l’auteur, à décrire le faux pas et à l’expliquer, tout comme à reconnaître le caractère non-intentionnel.

Des difficultés apparaissent en revanche lorsqu’il s’agit d’indiquer l’émotion que peut ressentir la victime dans la situation énoncée. En effet, elle n’identifie pas toujours le malaise occasionné ou bien peut le minimiser (en indiquant que la victime est intriguée ou amusée). De plus, à l’histoire n°18, elle évoque ce que pourrait se dire le personnage, sans indiquer l’émotion correspondante.

Par ailleurs, face aux histoires sans faux pas, elle parvient là encore à toutes les détecter, tout comme elle se montre à même de répondre aux questions de compréhension.

Enfin, on note au cours de l’épreuve une analyse du discours dans le détail, tout comme des difficultés pour percevoir les intentions des auteurs de maladresses. Ainsi, lorsque l’un des personnages dit à son amie :  »Tu dois être déçue », XXXXX interprète ces propos comme une injonction ( »Tu dois »), alors même qu’il s’agit d’une tentative de réconfort et de soutien. Aussi, à deux reprises, elle prend les propos des personnages au pied de la lettre, sans percevoir l’intention dissimulée, qui est alors de faire diversion suite à la maladresse, et non de sympathiser.


Notes et références :

  1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Test_de_Sally_et_Anne ↩︎
  2. Valérie Blanco, psychanalyste, auteure de Dits de Divan ↩︎
  3. https://www.renaud-joly.fr/humour-seconde-degre/ ↩︎

Un commentaire pour “La théorie de l’esprit, qu’est-ce que c’est et comment cela m’impacte en tant qu’autiste adulte sans déficience intellectuelle ?

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